I
Une chose (phrase)
veut sortir
Elle tremble
Il ne faut pas se méprendre
sur cette sorte de tremblement
II
Ce n’est pas la main de l’écrivain,
pareille à celle des fous,
qui s’envole
C’est son cœur
soudain ivre
qui s’ouvre
II
La chose (phrase)
ne dit pas
qu’il n’a eu d’enfance
Elle dit que l’ivresse
de cette sorte de tremblement,
propre à l’enfance,
l’assaille
Elle dit
qu’elle veut sortir
de l’engrenage des choses tristes,
c’est-à-dire éternelles
Elle dit
qu’elle va nulle part
où des objets attendent
d’être accrochés à ses ailes
Comme les lampions d’une fête
qui commence
lorsqu’on a oublié
pour un temps
tous les drames
Lorsqu’on ne désire entendre
que la minute
au creux de laquelle s’éternise
cette sorte de tremblement
III
Avant d’être,
a fortiori d’arriver,
la chose (phrase)
ne fait rien d’autre
que commencer
Ce n’est pas si simple de commencer,
de commencer par exemple à parler
Cela ne va pas de soi
IV
Ce qui ne va pas de soi
est déjà dans le chose (phrase)
C’est pourquoi sans doute dans ce monde
certaines choses ont tant de mal à commencer
V
Leur liste est impossible à établir
Liste de tout ce qui
dans ce monde
ne va pas de soi,
et de ce fait (dans cette mesure)
ne commence pas
VI
Cela commence
par un balbutiement
Pour bien connaître
et justement comprendre
la chose (phrase),
il convient d’abord
de percevoir son flottement
VII
Que faire
à la seconde où l’on perçoit
le balbutiement
de la chose (phrase) ?
Il est si étouffé
qu’on devine derrière
non seulement une impossibilité d’être,
mais déjà la puanteur
VIII
Chose (phrase)
pas tout à fait abstraite
À la limite de l’abstraction
IX
Le balbutiement flotte
Le flottement balbutie
X
Il est vraiment pourtant
que l’amour est là
dans la chose (phrase)
Et il parle
là
Et il est seul
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Novembre 1990
Lu au Couvent du Refuge
le 7 décembre 1990