[Von hier aùs]

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POLKE

Sigmar Polke, Ein Bild sollte nicht grösser als ein Bett, 1985
Frac Bourgogne

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On a dit de l’architecture d’Hermann Czech conçue pour l’exposition Von hier aùs (Düsseldorf, septembre 1984) qu’elle figurait une ville. La manifestation a-t-elle été organisée autour de la construction pour la valoriser en quelque sorte ?

Utopie de la ville, du labyrinthe. Depuis longtemps les projets d’architectures grandioses hantent les esprits en Allemagne. Friedrich : ses monuments gothiques, ses dômes, ses temples. Schinkel, l’architecte du Berlin prussien. Le Bauhaus certes. Et l’inévitable Speer, auteur de la Cathédrale de lumière, sommet de l’esthétique nazie.

En 1983, Vers un art total, exposition initiée par Harald Szeemann, avait montré un état d’une certaine obsession du grandiose. On entrevoit parfois quelle volonté justifie ce qui est montré, quel embarras retient ce qui, soulignait Nietzsche, est « tenu secret pour de bonnes raisons ».

Von hier aùs donne à voir un dispositif architectural et par ailleurs des œuvres. « Par ailleurs », car il n’a jamais été prouvé qu’un appareillage aussi complexe puisse réellement favoriser la lecture d’œuvres, fussent-elles « contemporaines », sauf à être le fait des artistes comme partie intégrante des dites œuvres.

Kasper Koenig, commissaire général, déclare que son exposition est avant tout un « spectacle » … Quatorze mille mètres carrés : « une gigantesque cage à lapins », ne craint-il pas d’affirmer.

Pour accrocher le regard : une tour en briques de Kirkeby, Danois assimilé, puisque ayant travaillé en Allemagne. L’entonnoir de Nam June Paik : plus kitch, plus laborieux que son installation à Beaubourg. Le fantaisiste Pavillon de la consommation du Groupe Normal. Un fond argenté, bien superflu, pour accrocher les tableaux de Polke. La touche « Van Gogh » de Norbert Tadeusz. Les vases peints de Gerhard Kever. Les douze mètres du Ich in Deutschland de Penck. Ainsi de suite.

Théâtralité. Grandiloquence. En mémoire : le faste des décors d’opéra de Thiele. Koenig n’a jamais caché sa fascination pour le contenant. Évoquant l’exposition Zeigeist (Berlin, 1982-83), qui se voulait une « réponse », à grand renfort d’œuvres à la mode, dirigée contre la Documenta 7, il retient le charme de l’édifice façon Gropius : « On peut dire que c’était le bâtiment qui, au détriment des œuvres, était exposé, dans un contexte unique et quelque peu émouvant puisque tout près du mur. »

Séduction de l’emballage. Reconstitution. Régionalisme : offensive ou contre-offensive « unitaire » de la Rhénanie sur la scène artistique internationale, au-delà des tensions entre Cologne et Düsseldorf. Une telle « démonstration », affirme Kasper Koenig, n’aurait pu avoir lieu ailleurs. Impossible en Amérique, pour des raisons commerciales (les galeries new-yorkaises ont un rôle captateur trop important). Impossible en France. En France, dit encore Koenig, « on est sur la défensive comme pour protéger les artistes conceptuels de la deuxième génération. »

Ce qui frappe dans ce « microcosme de l’art » que veut être Von hier aùs, c’est la dissonance qu’imposent certaines œuvres au regard du concept global de l’exposition. Les expressionnistes et assimilés, portés par le marché international, ont ici leur place. Ils s’efforcent d’accréditer la certitude autarcique qui sert de devanture à cette exposition. Mais les autres : les Knoebel, Polke, Palermo, Richter, Ruthenbeck ? Et les plus jeunes : Kiecol, Mucha, Schütte ?

L’enseignement de Beuys ne fut-il pas essentiellement fondé sur une critique radicale du référent, des emblèmes, de l’histoire, « des interprétations fausses de la culture » ? « Il a fallu, dit encore Kasper Koenig, que les artistes se conforment aux exigences de l’exposition. »

Von hier aùs : match « amical » entre les héritiers de Fluxus et les tenants des nouvelles expressions figuratives ? C’est un peu simpliste, comme le sont d’ailleurs les regroupements hasardeux fondés sur d’hypothétiques filiations : Walter Dahn a fréquenté, comme tant d’autres, la classe de Beuys. Oehlen serait un « disciple spirituel » de Polke…

Le caractère fondamentalement hétérogène des œuvres de Richter, de Polke ou de Knoebel induit un effet de démystification du sujet en peinture et de la peinture elle-même, d’une ampleur telle qu’il est invraisemblable de ne pas concevoir leur insularité. L’art pensé en terme de connaissance ou en terme d’expression n’est pas exactement la même chose.

Les confrontations suscitées par la Documenta 7 : Kounellis aux côtés de Baselitz, Richard Long dans l’espace de Kiefer, etc., étaient beaucoup plus prégnantes que le nombrilisme de Von hier aùs. Même si cette exposition a le mérite de nous montrer, toutes tendances confondues, un certain état de l’art allemand (ou en Allemagne), la manifestation est loin de l’esprit Fluxus auquel, historiquement, la ville de Düsseldorf reste associée.

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Paru dans Plus 1, Presses du Réel, 1985

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