Le livre est un livre que l’on n’écrit.
Livre que l’on n’écrit est un livre auquel il rêve.
Le livre auquel on rêve n’existe pas.
C’est un objet : un objet de rêve.
Le pire pour un rêve est parfois de se réaliser.
On ne sait ce que pourrait être, si on l’écrivait, le dessein ou le destin du livre auquel on rêve.
Le principe d’élaboration d’un objet abstrait, objet du rêve, est en soi un dessein qui ne rebute pas, qui semble même par instant accessible.
Le livre : ne pas affirmer qu’il ne peut exister, que les conditions de son apparition ne peuvent être réunies, que réunies elles seraient forcément insatisfaisantes.
Ne pas prétendre que constater cette situation laisserait indifférent ou provoquerait un doute.
Ne pas déclarer ne pas ne vouloir agir ou réagir.
Ne pas affirmer ne rien vouloir faire.
Ne pas dire : Que faire ?
Ne pas attendre : le temps, le moment voulus.
Ne pas effacer ce temps, ni transformer le dispositif du temps en objet du rêve ; ni même l’inverse.
L’objet du rêve doit prendre corps dans un parcours en ses différents états, ses différentes étapes.
L’objet du rêve ne saurait être anticipé.
Il conviendrait d’abord de le voir, et pour le voir le montrer.
Son avènement, a fortiori sa présence, devrait précéder, mieux par avance anéantir tout énoncé.
L’idée même d’un énoncé doit apparaître toujours prématurée.
Car pour s’imposer, le livre auquel on rêve doit imposer son actualité.
Telles sont les conditions de son apparition, on pourrait dire de sa volonté.
Volonté que l’on fait sienne.
Volonté à laquelle nul ne peut s’opposer.
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Extrait de : Choses seulement faites pour qu’on les regarde, ENd éditions, 2015